La jeune fille qui voulait vivre une histoire d’amour
La jeune fille qui voulait vivre une histoire d’amour en hommage au roman, Le vieux qui lisait des romans d’amour, de Luis SEPULVEDA
« Les quelques habitants d’El Idilio, auxquels s’étaient joints une poignée d’aventuriers venus des environs, attendaient sur le quai leur tour de s’asseoir dans le fauteuil mobile du dentiste, le docteur Rubincondo Loachamin, qui pratiquait une étrange anesthésie verbale pour atténuer les douleurs de ses clients. »
Une jeune femme patientait depuis un moment déjà, non sans inquiétude, mais le nom de cet étrange village et la logorrhée d’un de ses éminents habitants l’avaient d’emblée excitées, peut-être qu’outre la qualité d’arracheur-de-dents avait-il celle non moins précieuse d’arracheur de cœur. La possibilité d’une idylle peu commune en ces contrées reculées l’attirait énormément. Oui elle s’ennuyait ferme et désirait goûter au frisson de la passion ailleurs que dans la fiction des romans. C’est donc avec cette idée en tête qu’elle s’avança vers le malheureux qui devait à lui tout seul sortir de la torpeur des tropiques une adolescente ingénue. Elle s’installa furtivement sur le siège des supplices en le regardant effrontément. Il parut surpris, habitué à une clientèle hétéroclite et marquée par les vicissitudes de la vie. Elle était là assise, lascive, mais les muscles tendus de sa mâchoire montraient une certaine crispation.
Ne sachant par quel biais commencer, il décida de faire son métier et s’approcha d’elle en lui demandant d’ouvrir la bouche. Au moment où sa tête se pencha au-dessus de sa patiente, celle-ci l’embrassa à pleines dents, fougueusement. Lâchant un juron : « hhBordel ! On n’est pas dans un bordel ici. Que me voulez-vous ? » Tout à coup la verve qui avait bâti sa renommée dans tout le pays l’avait abandonné. Dans quel équipage s’était-il encore fourré ? Le bateau prenait l’eau de tous côtés et le docteur rougissant avait du mal de se remettre de ses émotions. Pire qu’une rage de dent. Il était devenu ignorant. Elle, le regardait, flottante, ne sachant sur quel pied danser. Elle n’avait encore rien ressenti et le beau parleur ressemblait plutôt au matelot d’un bateau ivre. Serait-ce vraiment lui qui comme dans les contes orientaux la transporterait sur un tapis par monts et par vaux au-delà de l’imaginable et du dicible. Il semblait plutôt tapi dans un mutisme, oui. Puis tout à coup un déclic, le diesel était monté au cerveau et il passa à la vitesse supérieure. Cet excès de réflexion allié à la chaleur ambiante avait provoqué une sueur abondante. Ôtant au sujet toute sa séduction. Défaite, elle lui expliqua sa requête. Il lui révéla alors le nom d’une personne qui serait à même de lui expliquer tous les détails de l’amour mais le véritable. Il était connu pour son érudition sur le sujet et s’appelait Antonio José Bolívar.
Flora Pourcelot (20 avril 2020)
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 9 autres membres